DU STYLO A LA QUEUE DE RAT

Ce dimanche matin, pendant qu’il rangeait ses affaires, Rémy tomba sur l’une des photos de ses parents. Une photo prise lors d’une fête. Il observa longuement la photo avant de l’embrasser tendrement. Il la rangea soigneusement, avec précaution comme si la moindre brutalité allait les blesser.

Il se souvient encore des histoires que lui racontait sa mère, surtout les contes africains. Et papa lui rappelait toujours sa culture béninoise, celle de ses aïeux.  Et lui, il aimait les entendre. Il a fini par aimer sa culture et son pays d’origine sans le connaitre. A son tour, il les racontait à ses amis de classe. Il parlait du Zangbétô, du Egungun, racontait l’épopée des  grands rois du Bénin Béhanzin, Toffa, Bio Guera, Kaba, sans oublier le vodoun et autres Kalétas. Bien sûr à sa manière. Ce qui était intéressant chez Rémy, c’est le tonus et la joie qu’il met à raconter ses histoires qui retiennent l’attention de tous ses camarades. Déjà à sept ans, il était passé  pour une virtuose.

Franck Dègnon  Fadou après ses  études en informatique en France, trouva du boulot dans une entreprise et s’en sort bien. Il fit venir sa femme  Emma du Bénin, et le couple emménagea dans un beau petit appartement dans la ville de Lyon.  Puis vint au monde le petit Rémy Sèzo

Fadou.

Malheureusement, le couple Fadou revenait d’une fête organisée par la communauté togolaise où il était invité en région parisienne lorsque vers vingt heures, leur voiture perdit la route et  atterrit dans un ravin ! Le couple n’a pas survécu à l’accident.  Rémy se retrouva donc  orphelin à l’âge de onze ans.  La mort du couple Fadou fut un choc terrible pour la communauté béninoise vivant en France en particulier, et toute la communauté africaine en général. 

Le petit Rémy fut recueilli par un couple blanc ami au couple Fadou. Rémy ne manquait de rien et suivait normalement son cursus scolaire. A quatorze ans, il eut son Bac, trois ans plus tard, il obtint sa licence, se mit à faire de petits jobs et à 18 ans, il partit de chez les Balladins, les amis de ses parents, pour se louer un studio.  Tout en travaillant, il continuait ses études en Droit.

En première année de Fac, Rémy rencontra Magali une jeune française dont il tomba amoureux. La fille aussi l’aima comme jamais. Et depuis trois ans l’idylle dure. Ils sont même fiancés déjà.  Et n’eut été l’opposition de Rémy qui tenait à finir ses études universitaires et avoir un emploi stable, le mariage serait déjà célébré.

Rémy  Sèzo Fadou fils unique de ses parents, à  dix-huit ans, commence par  avoir une forte envie d’aller visiter son pays le Bénin où il n’a jamais été. Son père lui parlait toujours de son village Awaya et de ses grands-parents encore vivants. De jour en jour,  cette envie devenait plus forte. Il en parla à sa dulcinée Magali.

  • Je veux visiter le Bénin ! Magali le regarda d’un air bizarre sans rien dire. Face à ce silence Rémy répéta  sa phrase. « Je veux visiter le Bénin ». Il est temps que j’aille connaitre mon pays d’origine et voir la famille.
  • Ça ne me plait pas.
  • Ah bon. Je veux juste profiter des vacances  pour y aller et faire deux semaines.
  • Tu as oublié notre programme de ces vacances-ci ?
  • Pas oublié.  J’y vais pour juste deux semaines et je reviens pour notre programme d’Alsace.
  • J’y vais avec toi alors…
  • Oui mais je préfère y aller seul d’abord puis les vacances prochaines, nous nous y rendrons tous les deux déjà mariés. D’accord chérie ?
  • Humm…  Elle fit la tête pas trop d’accord.
  • Deux semaines sans toi à côté, c’est un calvaire.
  • Oui mais nous avons nos téléphones…
  • Pas pareils.
  • Je sais, deux semaines, ça passe vite hein… Et Rémy plaqua un bon baiser sur la joue ronde de Magali.

Rémy débarqua à Cotonou. Depuis l’aéroport Cardinal Gantin, il sentit la chaleur du pays. Il  chercha et logea dans un hôtel grâce au taxi jaune. Son programme est bien établi : une semaine à  passer entre Cotonou, Ouidah et Porto-Novo, et une semaine à Awaya le village d’origine de ses parents. Puis retour sur la France car il avait son billet aller-retour. Les sept jours entre Porto-Novo, Ouidah et Cotonou passèrent très vite. Direction Awaya.

Arrivé à Dassa, il trouva un parc de taxi motos non loin de la station d’essence.  Dans son accent français, il expliqua qu’il va à Awaya. Les regards se tournèrent  vers quelqu’un qui se leva  en époussetant  le siège de sa moto en même temps.

  • Awaya c’est chez moi. Vous allez dans quelle maison tonton ?
  • Maison Fadou.
  • Oui je connais. Vous êtes le fils du vieux Fadou Hèblè ?
  • Son petit -fils. Vous le connaissez ?
  • Qui ne connait pas le vieux Hèblè, même au-delà d’Awaya.
  • Ok.

Le taxi-moto le prit donc et naturellement, il ne pouvait pas se taire.

  • Vous venez de Yovotomin (pays de blancs) non tonton…
  • Oui.
  • Donc c’est avion vous avez pris pour venir…
  • Oui.
  • Il paraît qu’il n’y a pas le soleil là-bas…
  • Il y a le soleil.
  • Et ça brille comme ici ?
  • Oui.
  • Ça ne doit pas être la même chose. Façon notre soleil est ‘’dur’’ ici… Et le taxi moto posa tas de questions à son client qui répondait comme il peut juste par politesse car il en avait marre.

 Awaya, par ce  petit matin du mois d’août,  Rémy débarqua avec sa valise, transporté par le Zémidjan depuis Dassa.

Devant la concession Fadou, il y avait une  femme qui vendait  de la bouillie,  une autre des beignets à base de haricot, autour d’elles des enfants et jeunes, bols en mains. Avant même d’arrêter sa moto, le conducteur lança : Je vous ai amené un ‘’Dijonon’’ étranger. Les regards se tournèrent vers celui qui est assis derrière. Puis les femmes  crièrent « Héééé kwabooo » suivi d’autres panégyriques.  Il fut conduit dans la concession. Le vieux Fadou Hèblè, pagne jeté à l’épaule et qui offrait des grains de maïs aux poulets  lança : « Qui est venu ? ». Les femmes répondirent « Nous ne savons pas qui exactement, ni son nom mais ses traits physiques sont ceux des Fadou.  Ça ne trompe jamais. Il en a des caractéristiques Fadou. Elles l’examinèrent  correctement et interrogent : «  Est-ce que ce n’est pas le fils de Avadi ? Non le fils de Louta. C’est celui de Ganzin. Il ressemble plutôt à Bèlouè » Le vieux intervint : Faites-le entrer s’asseoir et servez lui de l’eau. Qu’il soit le fils de Zinsou ou de Sagbo ou encore de Gbodja, c’est un Fadou, il est à la maison.

Rémy fut installé, il but de l’eau, le petit salon est déjà plein des habitants de la concession : les épouses, les enfants, petits-enfants, parents alliés, même des clients curieux tendaient le cou à travers les fenêtres. Les salutations furent  longues en mahi mélangé au Daasha, avec des yeux braqués  sur lui. Le vieux est étendu dans sa longue chaise. Rémy qui ne comprenait absolument rien ne répondait que par des oui, houn, merci…  De part ce que ses parents lui disaient à la maison de leur vivant en France, il peut baragouiner des phrases mais il avait honte de mal prononcer avec son accent français, et il se tut.

Finalement, le vieux Hèblè comprit enfin que s’il n’arrêtait pas les femmes,  ils y passeraient la journée.

  • Alors, mon enfant, présente toi correctement  (en langue locale, et traduction bancale d’un jeune qui ne cesse de se gratter la tête).
  • Je suis Rémy Sèzo Fadou, le fils de Franck Dègnon Fadou…..

Larmes et lamentations. Le vieux baissa la tête. Il demande à Rémy de venir  s’asseoir sur sa cuisse. Mais il ne put supporter longtemps le poids de son petit-fils. On approcha sa chaise et il put s’asseoir à côté de son grand-père. Le vieux dit comme dans un regret : « J’avais senti le danger qui menaçait mon fils. J’ai consulté les ancêtres et je l’ai appelé. Je lui ai recommandé de ne pas aller à cette fête. Ou s’il doit vraiment y aller, de ne pas prendre le volant. Mais il ne m’a  pas écouté. J’ai trop souffert de sa disparition. Jusqu’à ce jour, je ne m’en suis pas encore remis. Mais les Dieux m’ont ramené son fils. Nous devons faire des libations pour leur dire merci. Sois le bienvenu fils. Que les dieux te bénissent »

Rémy passa de très bons jours à Awaya. Promenades, visites touristiques,  champs, les contes tous les soirs et il affectionnait le plat d’igname pilée (agou). Magali s’impatientait pour son retour en France, malgré les échanges téléphoniques.

La veille de son départ, le vieux Hèblè se réveilla à l’aube et s’étendit dans sa longue chaise, seul sur la cour de sa concession.  Le jour vient, et les oiseaux l’annoncent. Un vent frais souffle légèrement. Un bruit de moteur se fit entendre devant  la maison. Le vieux sut que c’est Gombolou qui passait pour aller à Glazoué. C’est son heure. Et c’est le bruit de sa moto vieillotte qui réveille le quartier tous les matins. Il se replongea dans ses pensées… ( A suivre)